Avec plus de dix millions de personnes souffrant d’arthrose, cette maladie, deuxième cause d’invalidité en France, méritait bien une enquête nationale.
La parole a été donnée sur Internet aux patients entre décembre 2012 et mai 2013.
Près de 3 000 des questionnaires en ligne en 113 questions ont pu être exploités sur les 4 650 reçus. Nous vous en dévoilons ci-après les principaux résultats.
«L’arthrose, un fardeau au quotidien qui se traite? Mais des efforts restent à faire!»
Laurent Grange *&** MD PhD.
Souvent sous-estimée ou minimisée, l’arthrose est pourtant une véritable maladie qui impacte le quotidien des personnes atteintes et peut avoir des conséquences néfastes sur la vie quotidienne. Afin d’améliorer la reconnaissance de cette pathologie et de faire connaître les véritables besoins des personnes malades, l’AFLAR (seule association de patients et professionnels de santé défendant l’intérêt des patients arthrosiques) a été à l’initiative, fin 2011, du regroupement des acteurs impliqués dans la prise en charge de l’arthrose.
Ce groupe de réflexion et de mobilisation nommé « l’Alliance Nationale contre l’Arthrose » a notamment pour objectif de lutter contre les idées reçues communément admises sur l’arthrose : maladie qui vient avec l’âge et visà- vis de laquelle il existe peu de moyens de lutter, etc.
L’arthrose au fait c’est quoi ? Ce n’est pas de l’usure !
L’arthrose est une maladie chronique de l’articulation dans son ensemble, qui touche le cartilage et les autres composantes de l’articulation, notamment la membrane synoviale, l’os sous-chondrale, la capsule et les ligaments. L’arthrose est la résultante de phénomènes mécaniques et biochimiques qui déstabilisent l’équilibre entre la synthèse (anabolisme) et la dégradation du cartilage (catabolisme) et de l’os sous-chondrale. L’arthrose se caractérise donc par un déplacement du métabolisme du chondrocyte, entraînant un déséquilibre entre l’anabolisme et le catabolisme au profit du catabolisme.
L’arthrose est donc un processus inflammatoire local où il existe des modifications quantitatives et qualitatives du cartilage. Le chondrocyte étant la cellule clef responsable de ces mécanismes physiopathologiques. Ce n’est donc clairement pas de l’usure. Les deux principales manifestations (symptômes) de l’arthrose sont la douleur et la gêne fonctionnelle.
Figure 1 : Evolution de l’arthrose sur le plan anatomique.
L’arthrose : un fardeau sociétal important
L’arthrose touche 17 % de nos concitoyens, soit plus de 10 millions de français et pourrait atteindre 22 % en 2030.
L’incidence augmente avec l’âge : pour les patients de plus de 45 ans, l’incidence est de 3 % ; à plus de 65 ans, elle monte à 65 % ; enfin, à plus de 80 ans, elle est de 80 %.
Selon une estimation récente, le coût de l’arthrose en France en 2010 était de 3,5 milliards d’euros1. On estime par exemple que le coût par patient suivi par un médecin généraliste est de 763 € par an2. En 2002, le coût était de 1,6 milliards d’euros3. On assiste donc à un poids financier de plus en plus important de cette pathologie. Elle représente la seconde cause d’invalidité4 et la première cause de consultation en médecine générale, après les pathologies cardio-vasculaires.Et pourtant… Et pourtant, la maladie souffre d’un évident déficit d’image. Le grand public, et les pouvoirs publics avec lui semble-t-il, considèrent qu’il est normal de vieillir et de souffrir de ses articulations. Les Autorités de Santé estiment encore que le traitement, s’il existe, est « de confort »… Un constat de prévalence croissante et de banalisation qui justifie l’enquête « Stop Arthrose » menée par l’Alliance.
L’arthrose : un fardeau majeur au quotidien pour nos patients
La parole a été donnée sur Internet aux patients souffrant d’arthrose périphérique, entre décembre 2012 et mai 2013. 4 650 personnes ont répondu à 113 questions en un temps moyen de 20 minutes. Près de 3 000 de ces questionnaires en ligne ont pu être exploités. Quelques biais toutefois : les répondeurs sont à l’évidence plus intéressés par leur santé, plus urbains et leur niveau de vie est plus élevé que la moyenne.
Qui sont-ils ?
> Si 70 % sont âgés de 50 à 69 ans, 47 % ont moins de 60 ans> 40 % sont en activité professionnelle> Les douleurs ont commencé avant l’âge de 40 ans pour 35 % d’entre eux> Les genoux et les mains sont les articulations les plus sujettes à l’arthrose, chez ces répondant (figure 2)
Figure 2 : Localisations de l’arthrose chez les répondants de l’enquête.
La surprise : contrairement à une idée reçue, la maladie peut toucher aussi des patients jeunes.
Une prise en charge généraliste
> Dans plus de la moitié des cas (51,7 %), c’est le médecin généraliste qui pose le diagnostic
> 8 fois sur 10, il assure le suivi.
La surprise : la médiane du diagnostic, calculée à 2 ans (le diagnostic a été fait pour la moitié en moins de 2 ans, pour l’autre moitié en plus de 2 ans), avec une moyenne à 4,2 ans.
Une qualité de vie altérée (cf. figure 3)
Le quotidien des patients est à l’évidence fortement perturbé : la maladie est considérée comme un fardeau. Curieusement, la fatigue est ici aussi, dans un contexte d’arthrose, signalée alors que réputée accompagner plutôt les rhumatismes inflammatoires.
Figure 3 : Impact de l’arthrose dans la vie quotidienne des patients.
Des douleurs variables
La douleur et l’arthrose sont plus qu’étroitement liées (figure 4). « L’arthrose n’est pourtant pas suffisamment prise au sérieux par les médecins comme par les patients, qui considèrent qu’il est normal de souffrir d’arthrose quand on est vieux ».
Figure 4 : Caractéristiques de la douleur selon les répondants.
La majorité des patients douloureux notant une exacerbation lors des variations météorologiques
La surprise : le tiers des patients signalent des douleurs permanentes. Les douleurs ne sont pas qu’exclusivement mécaniques (liées à l’activité) chez ces répondants.
Il existe une répercussion importante de cette maladie dans la vie quotidienne
Les patients expriment que l’arthrose est un fardeau lourd à porter, notamment en termes de douleurs, handicap, peur de vieillir, et qu’elle a un impact important sur les loisirs et les déplacements (cf. figure 5).
Figure 5 : Expression des patients sur leur sentiment vis-à-vis de leur arthrose.
Des connaissances encore parcellaires
> A peine 20 % considèrent encore que l’arthrose est « une maladie de personnes agées » (les répondeurs sont des internautes !)
> L’arthrose peut toucher toutes les articulations ; elle est liée à l’accélération de la destruction du cartilage certes, mais… à l’opposé de ce que pensent les patients, qui connaissent globalement la physiopathologie de la maladie, sauf 86,7 % pensent encore que l’arthrose est de l’usure du cartilage.
Un éventail de traitements (figure 6)
Figure 6 : Leurs solutions contre l’arthrose.
> 56 % prennent des médicaments
> Plutôt par voie orale (95 %)
> Ou par voie locale (37,3 %)
> 65 % ont recours à la kinésithérapie
> 33 % ont subi une intervention chirurgicale prothétique, genou, pied ou hanche
> 28,9 % se sont tournés vers les médecines non conventionnelles
> 42,2 % ont des infiltrations de corticoïdes (genou, pouce, pied en tête)
> 26,7 % ont été traités par visco-supplémentation (genou et hanche essentiellement).
Le commentaire : Les discussions récentes sur le déremboursement de la prise en charge médicale de l’arthrose, qui permet de surseoir pour un temps à la chirurgie, inquiètent à juste titre. Par ailleurs, la presque totalité se disent insatisfaits de l’efficacité du traitement de leurs douleurs… Nous devons, nous médecins, nous remettre en cause et mieux prendre en charge cette douleur arthrosique !
… Et l’activité physique !
> 27 % pratiquent une activité physique quotidienne
> 32,3 % s’y adonnent de façon hebdomadaire
> 45,7 % font de la marche rapide
> 17 % de la natation
> 16,9 % du vélo en extérieur
> 15,5 % du vélo d’appartement.
Le commentaire : Bien, mais 19,6 % n’en font aucune ! Un gros travail d’éducation thérapeutique est indispensable, qui devrait mettre en lumière les bienfaits des modifications du mode de vie.
Des besoins insatisfaits (figure 7)
Figure 7 : Besoins des patients souffrant d’arthrose ayant répondu à l’enquête.
Les patients expriment des besoins insatisfaits, notamment en termes de prise en charge de la douleur et d’amélioration du suivi médical. Les patients souhaitent aussi à la fois davantage d’informations, d’écoute et de compréhension.
CONCLUSION > L’arthrose est une vraie maladie qui concerne beaucoup de nos patients avec un impact fort sur leur vie quotidienne, notamment pour un certain nombre d’entre eux qui travaillent encore. > L’arthrose n’est pas de l’usure, mais un véritable processus dynamique de destruction articulaire. > La prise en charge est multiple : moyens non médicamenteux, médicamenteux généraux ou locaux ou chirurgicaux. > La prise en charge est vraiment pluridisciplinaire, où le médecin généraliste est au centre du dispositif. > Mais des progrès restent encore à faire, puisqu’une majorité de patients se disent insuffisamment pris en charge actuellement, d’autant plus que des risques forts de désengagement de la solidarité nationale planent actuellement sur la prise en charge de l’arthrose en France.
Dr Laurent Grange
* Clinique universitaire de Rhumatologie Pôle Locomotion Rééducation et Physiologie CHU de Grenoble, Hôpital Sud, France.
Bibliographie :
1 : Bertin P, Rannou F., Grange L., communication orale SFR 2012
2 : Grange L. et col. : Osteoarthritis in France the cost of ambulatory care in 2010, 2012 World Congress on Osteoarthritis (Barcelone) : 26-29 avril 2013
3 : Claude Le Pen Revue du Rhumatisme 72 (2005) 1326-1330
4 : Fautrel et col. Joint bone spine 2005 May ; 72 (3) : 235-40
5 : Enquête stop-arthrose Alliance contre l’arthrose / AFLAR communication orale décembre 2013 SFR