Alors que la crise sanitaire fait surgir le spectre d’une irréconciliable fracture entre les générations, que "jeunes" et "vieux" se sentent tour à tour stigmatisés, ce rapport entend démontrer que notre pays a besoin de tous pour se réinventer. Les seniors constituent une richesse et une ressource pour notre pays et doivent plus que jamais contribuer à la société post-Covid qui reste à construire. L’objectif de ce travail est ainsi de valoriser leur important rôle social et économique, de réfléchir à un nouveau modèle de soins et de prévention à l’aune de comparaisons internationales, mais aussi de proposer une stratégie ambitieuse d’adaptation de notre société aux enjeux du vieillissement.
S’inscrivant dans la continuité d’une précédente publication de l’Institut Montaigne, Faire du bien-vieillir un projet de société (2015), ce rapport s’appuie sur les réflexions d’un groupe de travail représentant une grande diversité d’expertises et de plus de 80 auditions. Il détaille 12 propositions pour bâtir une société plus inclusive avec le bien-vieillir comme priorité.
Le vieillissement de la population résulte de l’allongement de la durée de vie après 65 ans, révélateur d’une amélioration continue de la santé des Français au cours du siècle dernier grâce notamment aux progrès scientifiques et médicaux. Cette évolution, qui est véritablement perceptible depuis une trentaine d’années, connaît une accélération forte depuis le milieu des années 2010, avec l’arrivée des baby boomers à l’âge de la retraite. D’après l’Insee, au 1er janvier 2020, la France compte près de 13,5 millions de seniors âgés de 65 ans ou plus, soit 20 % de la population française. En 2030, les plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans. Toutefois, cet allongement de l’espérance de vie ne se traduit pas forcément par une amélioration de la durée de vie en bonne santé. Selon la Drees, au cours des dix dernières années, l’espérance de vie sans incapacité à la naissance a plafonné. Cette stagnation de l’espérance de vie sans incapacité en France peut s’expliquer en partie par l’absence de stratégies de prévention des complications des maladies chroniques (hypertension, troubles sensoriels, de la marche, de l’équilibre, etc.). |
Peu de travaux se sont concentrés sur ceux que nous appelons les “seniors“, une catégorie mouvante qui a plus de cohérence quand on l’appréhende comme une étape de la vie personnelle et professionnelle – celle de la transition entre emploi et retraite active, de l’implication dans d’autres activités bénévoles, sociales, familiales, etc. Ces personnes, qui ont 60, 70 ou 80 ans, jouent un rôle majeur dans notre société. Face aux évolutions démographiques mais aussi sociales et économiques que notre société connaît, la catégorie des seniors ne correspond pas à une définition unique : pour l’OMS, les individus de plus de 60 ans sont considérés comme des “personnes âgées“. Dans l’administration, on utilise fréquemment le critère de 60 ans ou 65 ans pour le versement de certaines prestations sociales. Sur le marché du travail, plusieurs conventions collectives définissent les plus de 45 ans comme “salariés expérimentés“. Les seniors sont des personnes ressources pour notre modèle économique et social
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Ils apportent une contribution sociale et financière majeure à leurs descendants
Tout d’abord à travers la garde d’enfants : selon la Drees, les aînés constituent un mode de garde régulier ou occasionnel pour deux tiers des jeunes enfants. Ensuite, en matière de transferts intrafamiliaux : en 2018, les ménages de 60 ans ou plus aidaient à hauteur de 3 milliards d’euros leurs descendants de 40 à 59 ans. Enfin, en matière de donations (transmission d’héritage), 76 % des Français ayant transmis leur patrimoine sous forme de donations sont des personnes de plus de 65 ans.
Les seniors participent activement au dynamisme économique du pays
Cela passe d’abord par la consommation : les plus de 50 ans représentaient ainsi en 2015 près de 52 % des dépenses de consommation en France. Cette proportion est amenée à augmenter sensiblement avec le vieillissement de la population.
Cela passe ensuite par l’opportunité que constitue le vieillissement de la population pour la croissance française : promouvoir la santé des personnes âgées est un enjeu économique puisque l’amélioration de l’espérance de vie sans incapacité augmente le potentiel de croissance à long terme d’un pays. Le développement d’entreprises autour de la “Silver économie” donnera un avantage comparatif notable à la France dans les années à venir. Elle repose sur un marché à fort potentiel estimé à 0,25 point de PIB par an, pour un poids global aujourd’hui de 93 milliards d’euros.
Ils jouent un rôle majeur en tant qu’aidants de leurs propres parents
Depuis 20 ans, le système français, comme celui de nombreux pays, s’est principalement appuyé sur les proches aidants, aussi appelés aidants “familiaux” ou “informels” car ils sont souvent non rémunérés. En France, en moyenne, 58 % des personnes âgées de 60 ans ou plus déclarent recevoir de l’aide apportée par des proches. Les proches aidants assurent souvent l’essentiel des soins non-médicaux : soins personnels, assistance aux déplacements, aides pour les tâches administratives et ménagères, etc. Ils sont également les garants du maintien du lien social des personnes âgées.
Le système de soins demeure inadapté aux besoins des seniors
Près de 70 % des plus de 85 ans souffrent d’au moins une maladie chronique et l’on compte près de 2 millions de personnes en affection longue durée chez les 70-79 ans.
Ces chiffres révèlent l’urgence de repenser les parcours de soins pour les adapter au vieillissement de la population et à la prise en charge des maladies chroniques. Dans ce panorama, le développement de l’hospitalisation à domicile (HAD) constitue un enjeu important pour les personnes âgées afin de reconfigurer l’offre de soins et de proposer des soins gradués selon les situations, en dehors de l’hôpital.
Par ailleurs, des parcours coordonnés doivent être construits et l’accès aux soins de proximité doit être repensé pour permettre aux personnes âgées souffrant de plusieurs pathologies chroniques de trouver des réponses adaptées à leurs besoins.
Les Pays-Bas et la Norvège, deux cas étudiés dans le rapport, constituent des exemples intéressants dont la France devrait s’inspirer pour cantonner les admissions hospitalières aux cas les plus sévères, et développer de nouveaux parcours de soins adaptés aux seniors et aux pathologies chroniques.
Le “bien-vieillir“, un concept plus qu’une réalité tangible en France
Selon l’Observatoire des seniors, le concept de “bien-vieillir” fait référence à la prévention appliquée aux seniors. Il encourage les personnes âgées autonomes à respecter des règles d’hygiène de vie qui permettent de rester en bonne santé le plus longtemps possible : les loisirs, l’activité physique et intellectuelle, l’alimentation, la sociabilisation, les soins ou encore la mobilité.
Pourtant, la prévention demeure le parent pauvre des dépenses courantes de santé en France et c’est d’autant plus le cas s’agissant de la politique de prévention de la perte d’autonomie. Selon la Drees, la prévention sanitaire institutionnelle (actions de prévention organisées ou financées par des fonds ou des programmes nationaux ou départementaux) représente seulement 1,8 % de la dépense courante de santé.
Plusieurs pays dépassent la France dans l’objectif d’un équilibrage entre les dépenses sociales (la prévention) et sanitaires (les soins). On trouve parmi eux les Pays-Bas, le Danemark et la Finlande. Dans ces trois pays, près du tiers des dépenses de soins de longue durée est consacré aux dépenses sociales.
Le numérique, un outil pour maintenir le lien social et assurer la continuité des soins
La France est également en retard dans le recours aux nouvelles technologies qui sont pourtant essentielles au succès des politiques du bien-vieillir. Par exemple, les Pays-Bas ont déployé au domicile des personnes âgées de l’électroménager intelligent et connecté qui enregistre l’activité quotidienne, les semainiers électroniques pour les médicaments, le recours à des tablettes numériques pour réduire l’isolement des personnes, etc.
Par ailleurs, la crise sanitaire a mis en évidence la nécessité d’encourager le déploiement de la télémédecine à travers la téléconsultation, le télésuivi et le télésoin, comme le soulignait l’Institut Montaigne dans le rapport E-santé : augmentons la dose ! (2020).
Contrairement aux préjugés largement répandus, les outils numériques jouent un rôle prépondérant et croissant pour les personnes entre 60 et 80 ans : les deux tiers des seniors utilisent internet au moins une fois par jour. Mais on voit se renforcer une fracture socio-numérique qui maintient isolées de la société les personnes les plus âgées, à la situation socio-économique fragile. Des dispositifs d’accompagnement sont donc indispensables pour rapprocher du numérique les publics les moins initiés ou les moins motivés.
L’évolution démographique que constitue le vieillissement doit inciter les décideurs publics à repenser la place et le rôle des seniors et à bâtir une société adaptée à ces mutations. Pour mettre en œuvre une stratégie ambitieuse d’accélération du bien-vieillir, il est indispensable de se donner plusieurs objectifs clés d’ici 10 ans :
- Valoriser la contribution des seniors à notre société et intégrer l’activité associative : passer à 60 % le taux d’activité des 55-64 ans en France et à 80 % en incluant les activités associatives.
- Mieux vivre chez soi et plus longtemps : réduire de moitié la durée des séjours hospitaliers des plus de 65 ans grâce à une prise en charge médicalisée à domicile.
- Vivre en meilleure santé : gagner un an d’espérance de vie en bonne santé à la naissance.
- Prévenir la perte d’autonomie : diviser par deux le nombre de résidents en EHPAD de moins de 80 ans ; diviser par deux la perte d’autonomie liée à l’hospitalisation des plus de 70 ans.
- Adapter l’ensemble de notre économie aux enjeux du vieillissement.
Cette stratégie d’accélération du bien-vieillir pourrait être portée par la 5e branche de la Sécurité sociale, dont l’objectif serait de rédiger et de s’assurer du bon déroulé de la stratégie de prévention sur l’ensemble du territoire.
Proposition 1 : Faire de la formation tout au long de la vie une réalité pour les seniors.
Proposition 2 : Être à la hauteur des aidants en doublant le “droit au répit“.
Proposition 3 : Supprimer les barrières d’âge dans la transition entre la vie active et la retraite.
Proposition 4 : Reconnaître l’utilité sociale et valoriser l’engagement des seniors dans le monde associatif.
Proposition 5 : Désigner une communauté de référents “nouvelle vie” au sein de chaque service public dans les territoires.
Proposition 6 : Généraliser le “diagnostic logement autonomie” en offrant un dispositif de guichet unique d’aide à l’adaptation du logement.
Proposition 7 : Transformer la ville au service de nos aînés. Au-delà du domicile, c’est l’ensemble de la politique de la ville qui doit s’adapter au vieillissement démographique.
Proposition 8 : Instaurer une règle d’or attribuant 1 euro de dépenses en faveur de la prévention de la perte d’autonomie pour 10 euros de dépenses curatives.
Proposition 9 : Dépister et prévenir les fragilités liées à l’état de santé.
Proposition 10 : Former et accompagner les professionnels médicaux et paramédicaux, les professionnels du domicile et les aidants au dépistage de l’existence de fragilités.
Proposition 11 : Soutenir la Silver économie en investissant dans les innovations et la R&D pour le bien-vieillir.
Proposition 12 : S’appuyer sur des outils digitaux performants pour améliorer le recueil de données de santé dans le champ du vieillissement et personnaliser les parcours de soins.
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